La Dépêche du viaduc

23.9.04

Pose de l'enrobé

Technologie. Depuis mardi, Appia, filiale d’Eiffage procède à la pose de l’enrobé sur le tablier du viaduc. Les quelque 9000 tonnes de ce bitume spécial qui a nécessité deux ans de recherches sont fabriquées près du viaduc.Il s’agit de la dernière grande étape d’un chantier hors normes.

La robe noire du viaduc


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Millau, le jeudi 23 septembre
Il y a dans orthochape – le nom du bitume posé depuis mardi sur le tablier du grand viaduc – comme un petit air d’orichalque, le mythique métal de l’Atlantide. Un clin d’œil au passé comme peut l’être le nom de la filière autoroutière du groupe Eiffage qui a conçu ledit bitume: Appia, qui renvoie à la via appia romaine reliant jadis Rome à Brindisi.Mais du passé, ce seront bien les seules évocations tant Appia a déployé tout son savoir faire dans l’orthochape, qui doit remplir la double fonction d’assurer le roulement des véhicules dans un confort optimal et la protection de la structure métallique du tablier.
C’est dans le centre d’études et de recherches d’Appia, à Corbas, près de Lyon (Rhône), que le bitume du viaduc a vu le jour. Un bitume aussi exceptionnel que l’ouvrage de Norman Foster puisqu’il a demandé deux années de recherches là où quelques semaines suffisent en général.
« Pour le viaduc de Millau, il fallait que nous imaginions un complexe étanchéité-roulement avec une épaisseur la plus mince et la plus résistante possible qui tienne compte des sollicitations mécaniques particulières du viaduc », expose Bernard Héritier, directeur technique d’Appia.
Dès lors va commencer pour le laboratoire dirigé par Jean-Pierre Triquigneaux une formidable aventure pour résoudre l’équation posée par le tablier: « ça fonctionne à l’envers d’une chaussée », résume le spécialiste. En effet, le tablier est composé d’un platelage métallique de faible épaisseur (14 mm) renforcé par des nervures longitudinales – les augets – qui jouent le rôle de raidisseurs. L’alternance de points durs (les nervures) et de surfaces déformables (dans les intervalles) allait faire subir à l’enrobé des sollicitations mécaniques en flexion négative, inverses de celles subies par une chaussée.
Une telle situation avait été étudiée dans les années 70 par le laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC) et le service d’études techniques des routes et autoroutes (Setra). Appia va alors s’inspirer de ces travaux pour mettre au point, au dernier trimestre 2002, une presse à même de simuler les contraintes subies par l’enrobé et le tablier.
Sur cette « machine d’essai de fatigue », l’équipe de Michel Saubot, responsable du service « Structures de chaussée », va donc réaliser des essais de qualification début 2003.Chaque échantillon d’enrobé – « l’éprouvette » – est soumis à des charges selon la fréquence de 4 Hz. La machine tourne 24 heures sur 24 car chaque éprouvette est soumise à… 2 millions de cycles à +10 °C ou 1 million à -10 °C. Objectif: que l’éventuelle fissure soit inférieure à 35 mm. « Nous avons testé une douzaine de formules », se remémore Michel Saubot, présent, hier, sur le viaduc.
Après six mois d’essai, Appia a pu déposer un dossier complet au Setra, préparé par sa filiale Mazza. Ainsi est né l’enrobé bitumineux BBSG 0/10 à base de liant orthoprène SBS dit orthochape; un bitume spécial modifié par ajout de doses élevées de polymère. En mars 2004, Appia a réalisé des essais grandeurs nature, notamment à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) sur un morceau de tablier livré par Eiffel.Là, les quatre grandes étapes de pose de l’enrobé ont pu être réalisées avec succès. Un second test, sur le viaduc cette fois, a été effectué sur 300 m le 29 juillet dernier.
Deux ans d’études pour deux jours de pose… mais la satisfaction d’avoir réalisé une prouesse.
Philippe Rioux

Millau partagé entre optimisme et inquiétudes
Comme l’érection des sept piles, les lançages du tablier métallique clavé au-dessus du Tarn le 28 mai dernier ou la mise en place des 154 haubans, l’élaboration de l’en robé démontrent une fois de plus le savoir-faire d’Eiffage qui va donc achever le viaduc trois ans après la pose de la première pierre le 14 décembre 2001.La fascination exercée par l’ouvrage – 450000 visiteurs! – va laisser place à l’inconnu pour le sud Aveyron. Quel impact auront le viaduc et l’A75 sur la vie économique, touristique, sociale? Les analyses divergent.
Pour Jacques Godfrain, député-maire UMP de Millau, l’effet viaduc va se poursuivre, voire s’accélérer. « Le viaduc a joué sur notre notoriété.Millau est plus attractif qu’à une autre époque.La moitié des réservations de villas neuves ou en projet est formulée par des gens extérieurs à Millau », expliqueM.Godfrain, qui prépare activement une inauguration festive dont le coût fait déjà débat. Si l’ancien ministre admet qu’il puisse y avoir « une dépression » pour la saison 2005, il assure que Millau et le sud Aveyron y sont préparés.« Les opérateurs qui n’étaient peut-être pas au rendez-vous au départ sont là mais les procédures sont très longues, d’où un décalage avec l’ouverture du viaduc », analyse Jacques Godfrain.Pour son opposant Guy Durand (PS), ce décalage, justement, risque d’être « mortel. » « Je pense que l’effet viaduc a joué.On a mangé notre pain blanc. Le chantier privé a été largement médiatisé. Maintenant, il y a un passage de relais aux collectivités et à l’économie sud Aveyronnaise.Mais rien n’est prêt. On n’a pas profité du temps du chantier pour revoir notre économie touristique, moderniser notre parc hôtelier, créer de nouvelles zones d’activités. Les équipements censés accompagner le viaduc en sont encore à l’état de projet et ne seront pas achevés avant cinq ans », analyse l’élu qui pronostique « un passage à vide qui va dépasser le cas de Millau et du sud Aveyron. »
Le plan d’accompagnement du viaduc de Millau, riche de quelque 10M€ – dont 6 apportés par la compagnie Eiffage du viaduc de Millau dans le cadre de la concession – destinés au développement économique et touristique, semble peiner à trouver des projets forts et accuse un certain retard pour ceux déjà lancés.Retard dû à des problèmes techniques comme la pérennisation des pistes de chantier côté nord, qui desserviront par navettes l’emblématique pile P2. Retard dû à des enjeux politiques aussi comme la mise en place de l’aire de repos du viaduc – prévue à Brocuéjouls pour l’été 2005 – qui a donné lieu pour la candidature à sa concession à une offensive du président UMP du conseil général Jean Puech contre le syndicat mixte de l’A75, présidé par son adversaire, le sénateur MPFBernard Seillier.
« Ce qui peut se passer au pire, c’est un été 2005 difficile pour certains professionnels », résume Jérôme Rouve, président de la CCI de Millau.« Pour profiter de l’effet viaduc, il faudra adapter, modifier nos comportements », plaide-t-il. Un défi à la hauteur de celui qu’a constitué pour Eiffage la construction du grand viaduc.
Ph. R.


La société Appia
Appia est le pôle routier d’Eiffage TP. La société est née le 3 février 2000 à partir de quatre entreprises routières: Beugnet, Gerland, Morin et SCR.Appia réalise un chiffre d’affaires d’environ 2 milliards d’euros.Elle dispose de 15300 salariés en France et en Europe, 83 filiales (et 260centres de travaux), 258 unités industrielles, 8 directions régionales et 3 directions spécialisées.Appia intervient sur les travaux routiers et autoroutiers, les travaux urbains de proximité, les aéroports. Sur les 40 millions de tonnes de bitume produites par an en France, Appia en fournit 9.


Les quatres étapes pour poser l'enrobé
1. Le grenaillage. Il s’agit de propulser sur le tablier à très haute pression des petites billes pour obtenir une rugosité. La primaire d’accrochage peut alors être posée. Il s’agit d’un vernis Siplast Primer, à base de bitume modifié (250 à 300 g/mm2).
2. La couche d’étanchéité. La couche d’étanchéité est ensuite appliquée.Elle est constituée par une feuille préfabriquée monocouche en bitume élastomère avec armature en polyester non tissé (Siplast). Elle mesure moins de 1 cm d’épaisseur et est étalée à chaud.
3. Le bitume. La pose de l’orthochape s’effectue à chaud (à 180 °C) avec un finisseur grande largeur qui réalise les deux couloirs de circulation.La bande d’arrêt d’urgence et le terre-plein central ont reçu un bitume « lambda », posé avec des finisseurs standards.
4. Les contrôles. Une fois l’enrobé posé, il convient de s’assurer du confort de circulation. Celui-ci est vérifié par le service technique des routes et autoroutes (Setra). Des chenilles placées à l’arrière d’un véhicule permettent de mesurer les éventuelles variations.


Deux unités de production
Les 9000 tonnes d’orthochape sont produites dans deux unités installées au nord, près de l’échangeur de la Gamasse. Depuis mardi, en un ballet parfaitement réglé, des semi-remorques font la navette entre le site de production et le viaduc pour alimenter les finisseurs. La noria de camion devait initiatiement se faire en continu pour réaliser la chaussée ouest du viaduc puis la chausée est.Mardi, les ingénieurs et techniciens d’Appia ont constaté que la température était de 10°C supérieure à celle prévue.Le programme a été modifié et au lieu de deux jours de pose, il en aura fallu trois.


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