La Dépêche en sud Aveyron

21.5.05

Edition du samedi 21 mai

Politique. Devant quelque 400 personnes, trois partisans du non et trois partisans du oui au traité constitutionnel se sont affrontés, jeudi soir à Creissels.

Six voix pour l’Europe

Après le meeting national du non à Rodez puis la réunion publique de Jean Glavany (PS) pour le oui à Millau, le débat contradictoire – inédit en Aveyron – organisé jeudi soir à Creissels, a véritablement constitué le 3e temps fort de la campagne référendaire aveyronnaise. Sur une idée d’André Pérez (PCF), six personnalités politiques sud Aveyronnaise ont accepté la confrontation. Pour le non : André Pérez (PCF), Bernard Seillier (MPF) et Guy Holstein (Alternative de gauche). Pour le oui : Jacques Godfrain (UMP), Guy Durand (PS) et Jean-Luc Gayraud (UDF). Accueillis par le maire de Creissels Pierre Garlenc, les six hommes se sont ensuite installés à la tribune dans un ordre déterminé par tirage au sort.
Dans la salle, quelque 400 personnes avaient pris place. Des Millavois venus en nombre, beaucoup de sud Aveyronnais, particulièrement des Saint-Affricains, mais aussi des personnes venues de Rodez, notamment des responsables politiques. Chaque intervenant était venu avec quelques fans mais, pour l’essentiel, le public, très studieux – hormis un ou deux perturbateurs – était là dans le seul but de voir les arguments pour ou contre le traité constitutionnel. Animé avec maîtrise par notre confrère Pierre-Emmanuel Parais, le débat aux temps de parole rigoureusement minutés, a permis d’aborder, en détail, les trois parties du traité. Au terme de quatre heures d’échanges très riches et de haute tenue, l’assistance est repartie, visiblement heureuse d’avoir assisté à un grand moment de démocratie que l’on espère voir se renouveler lors des prochains scrutins.
Philippe Rioux

Bernard Seillier
Sénateur MPF (RDSE), maire de Sévérac-le-Château, conseiller général de Sévérac-le-Château
Conseiller national MPF
B. Seillier observe que la complexité du traité, à plusieurs niveaux de lecture, explique les divisions dans les partis. Le sénateur estime que les rédacteurs du texte « autoproclamés en constituante », « inversent les principes élémentaires de la démocratie. » Se référant à plusieurs reprises à la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, B. Seillier estime que le traité remplace la souveraineté populaire par une souveraineté reposant sur les juges. « C’est une escroquerie à la démocratie. » Le sénateur conteste les avancées démocratiques car « le fond juridique demeure », avec une subsidiarité élargie. Estimant que la charte des droits fondamentaux (partie II) ne contient que « des Lapalissades », M. Seillier assure qu’aucun recours individuel des citoyens contre un acte de droit de l’Union n’est possible. « On évoque les droits de l’Homme, on évacue ceux du citoyen. » Rappelant les promesses non tenues de Maastricht, le sénateur fustige la politique économique européenne dogmatique et estime que « la Californie est l’exemple de notre futur avec 87 % de services, 11 % d’industrie et 2 % d’agriculture. » Convaincu que si le non l’emporte, la France « ne sera pas isolée » mais reprendra l’initiative, le sénateur conclut en rappelant que « pour dire non à la Turquie, il suffit de dire non au traité. »

Jean-Luc Gayraud
Premier maire-adjoint UDF de Millau, président de la communauté de communes Millau Grands Causses, conseiller général de Millau-est, vice-président du conseil général
Conseiller national UDF
D’emblée, M. Gayraud refuse de voir la politique intérieure ou la directive Bolkestein s’immiscer dans le débat car « cela n’a rien à voir avec la constitution. » L’élu assure que la France ne peut plus faire cavalier seul dans une Europe à 25 et que le traité est « l’acte I de la démocratie » qui a fait longtemps défaut dans l’élaboration des précédents traités. L’élu rappelle que sur 448 articles, 55 sont réellement nouveaux, qui apportent « des avancées importantes », notamment un poids renforcé pour la France et pour les 6 pays fondateurs ; et des règles plus souples pour la majorité qualifiée.
« Il y a 50 ans, nous avons fait l’Europe à 6. Maintenant, nous sommes 25, nous ne pouvons pas avoir les mêmes règles », assure M. Gayraud, qui compare le traité de Nice actuellement en vigueur – fruit d’un « marchandage tout sauf démocratique » – à « un bateau incontrôlable ballotté par les vagues venant de la Chine ou des États-Unis. » M. Gayraud est persuadé qu’avec l’adoption du traité constitutionnel, l’Europe défendra mieux son « modèle de société. « Si nous votons non, ce ne sera pas la catastrophe bien sûr, mais nous aurons raté une grande occasion pour que notre bateau européen ne soit plus ballotté. »

Jacques Godfrain
Maire UMP de Millau, député de la 3e circonscription, ancien ministre de la Coopération
Animateur du courant de l'UMP "Notre République"
Jacques Godfrain estime que la constitution « permet au citoyen, de s’exprimer » d’un côté et renforce l’Europe face « à la Chine, l’Inde et le bloc atlantique anglo-saxon. » de l’autre. Prenant l’exemple des nationalisations de 1981 et des privatisations de 1986 faites toutes avec la constitution de la Ve République française, M. Godfrain assure que « le traité n’est ni de droite ni de gauche » et qu’il est révisable. Sur la charte des droits fondamentaux, M. Godfrain estime que « tous ces droits ne valaient rien sans les moyens pour les exercer. Maintenant qu’elle est dans la constitution, il y a ces moyens. » L’ancien ministre est longuement revenu sur la monnaie unique. Il conteste que la Banque centrale européenne (BCE) soit en dehors de tout contrôle. « L’eurogroupe a de plus en plus la main sur la BCE », affirme-t-il. Dénonçant les « exagérations » des nonistes, M. Godfrain estime que la constitution est là pour « fixer les règles du jeu pour demain » et apporter « des éléments très forts pour notre vie quotidienne. » « Si le oui l’emporte, l’image de la France sera renforcée et nous pourrons imposer des choses. Sinon, nous serons un petit pays en dehors du jeu », conclut le député en citant l’historien Fernand Braudel : « La seule solution pour une certaine grandeur française, c’est de faire l’Europe. »

André Pérez
Secrétaire de la section de Millau du PCF
Ancien candidat aux élections cantonales de 2004
Très en verve, A. Pérez estime que le traité propose « un projet de société qui grave dans le marbre l’ultralibéralisme. » Rappelant que le débat n’était « pas Pour ou contre l’Europe ? mais Pour quelle Europe ? », le militant, citant l’Esprit des lois de Montesquieu, affirme que le traité est « le contraire de la démocratie. » Pour M. Pérez, la charte des droits est « une arnaque » car les droits énoncés sont, selon lui, contredits plus loin par les interprétations suggérées aux juges. Sur le droit de travailler, M. Pérez estime qu’on « inverse le sens des responsabilités. » « Il y a un retour à une conception moyenâgeuse des droits sociaux », poursuit le militant. Sur la partie III, fustigeant la BCE « qui ne rend de comptes à personne », M. Pérez estime que la fameuse « concurrence libre et non faussée » institue « la loi de la jungle, du Sarkozy pur sucre. » « On va avoir du job dumping où les salariés vont être contraints de renoncer à leurs droits pour conserver leur emploi », estime M. Pérez qui affirme également que la partie III s’attaque clairement aux services publics. Au terme d’une campagne qu’il dit être « la plus belle de [sa] vie » André Pérez estime que « la victoire du non est un immense espoir » et pourrait déboucher sur un nouveau Front populaire.

Guy Holstein
Membre de l'Alternative de gauche
Ancien candidat aux élections cantonales de 2004
D’emblée, Guy Holstein rappelle « qu’il n’y a pas deux politiques : une à Bruxelles et une en France. C’est la même. » Le militant estime que la constitution est « une mystification » car « elle aggrave tous les traités précédents. » Sur la partie I, M. Holstein assure que « la constitution n’est pas démocratique car elle comprend un programme politique. Le droit de vote deviendra inutile », résume-t-il, déplorant que le parlement européen ne puisse pas voter l’impôt ni avoir l’initiative législative. Pour Guy Holstein, la charte des droits « est une vitrine pour faire avaler la partie III » et contient « beaucoup de restrictions et de reculs » puisqu’elle « reconnaît des droits mais ne les garantit pas. » « Avec ce texte, il n’existera plus de services publics », assure M. Holstein, soulignant que « les aides publiques ne seront plus accordables aux entreprises en difficultés. » « Les règles de concurrence ne sont pas des règles de solidarité », résume-t-il, soulignant que le pacte de stabilité impose déjà aux États des restrictions qui ne peuvent se traduire que par des baisses de dépenses publiques. « La politique de Raffarin n’est que la fille de la politique européenne », estime G. Holstein. « La coupe est pleine. Il faut donner aux peuples le soin de choisir leur destin. Ce texte ne le permet pas. »

Guy Durand
Conseiller municipal PS, chef de file de l'opposition municipale
Ancien conseiller général de Millau-ouest
Représentant du oui de gauche, Guy Durand trouve trois raisons de voter oui : le traité a été élaboré de façon plus démocratique ; pour la première fois il est politique et non plus seulement économique ; et il ne contient « pas un seul recul social. » Sur le fonctionnement de l’Union, M. Durand estime que « la source du pouvoir se déplace de la commission vers le parlement. » Pour l’élu, la charte apporte « des droits nouveaux », notamment pour les travailleurs ; et son intégration dans la constitution, assure-t-il, lui donne « une valeur juridique contraignante. » « N’ayons pas la nostalgie de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 », lance l’élu. Sur la partie III, M. Durand rappelle que « la santé, la culture et l’éducation » échappent à la concurrence libre et non faussée. « Ce qui est concerné, ce sont ce que nous nous appelons les entreprises publiques qui évoluent dans le domaine marchand. » En conclusion, l’élu s’est adressé au « peuple de gauche. » « Je comprends que les gens de gauche soient tentés de dire non à la constitution pour dire non à la politique Chirac-Raffarin, antisociale d’une grande violence. Mais gardez vos cartouches pour 2007 et ne fusillez pas ce texte qui propose des avancées sociales significatives. »

Les petites phrases
I Durand à Pérez : Au PC, vous avez tout été : anti-européen, eurosceptique et maintenant eurocritique. I Gayraud à Pérez : Vous faites votre coming out européen. I Pérez à Durand (qui trouve que la charte « est presque un miracle ») : Giscard est déjà à l’Académie française, avec la constitution il va se faire canoniser par Benoît XVI ? I Godfrain rappelant à Pérez la participation des ministres communistes dans le gouvernement Jospin lors du traité de Nice : Je conçois que ça vous gêne. Moi je vous dis des vérités qui blessent. I Seillier à Gayraud qui ne sait à quel noniste répondre : Mais il y a tellement de raisons de voter non ! I Gayraud à Seillier qui s’est fait applaudir par l’extrême gauche : ça doit pas vous arriver souvent d’être applaudi par ceux qui viennent de le faire.


Quel impact aura la constitution sur la laïcité ?
Par le biais d’une question de la Libre pensée de l’Aveyron demandant si la mention explicite des Églises n’empêcherait pas à l’avenir les États membres qui le souhaitent d’instaurer une séparation des Églises et de leur État, un débat connexe s’est ouvert, notamment sur l’article 70 permettant les manifestations publiques des convictions religieuses. « Il y a une remise en cause implicite de la séparation. C’est très clair. Que ceux qui sont pour cela l’assument », estime A. Pérez, immédiatement contredit par J. Godfrain. Citant la situation de l’Irlande où le problème religieux est toujours pendant, le député estime que cet article permet justement aux États « de ne pas mettre la main là-dedans. » Pour Guy Holstein, la mention « en public » dans l’article contredit clairement la situation laïque française que ce soit la séparation des Églises et de l’État ou la récente loi sur les signes ostensibles d’appartenance religieuse. « La Laïcité n’est pas bafouée puisque notre conseil constitutionnel a validé cet article », rétorque Jean-Luc Gayraud. « Il y a eu pour la rédaction du traité une bataille entre les religieux et les laïques. Ce sont ces derniers qui ont gagné. A aucun moment les Églises ne jouent un rôle politique. Ce texte est totalement laïque », conclut Guy Durand.